J'aimerai parler d'une chose...
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C'est pas grave.
Il y a pire.
Il ne faut pas en rajouter.
Aujourd'hui ça va.
Voilà en résumé ce que l'on me dit quand j'essaie d'en parler, un peu ou beaucoup. J'ai un peu moins besoin d'en parler, mais c'est toujours là, quand je repense à ce jour là, dans cette salle là. Ces 4 heures là. Aujourd'hui, ça va. Mais hier?
12 juin 2014. 23h30. Hypnose, péridurale. Je me sens enfin libérée de l'emprise de la douleur. Cette douleur qui emprisonnait tout. Cette douleur qui broyait tout. Allongée sur le côté, je n'arrivais plus à la contrôler, à passer au dessus, les vagues me terrassaient, je n'y arrivais plus et pourtant je pouvais bouger, je pouvais faire ce que je voulais... Mais c'était trop. Cette péri a été posée dans un silence absolu, qui contrastait beaucoup avec les minutes précédentes où dans la tempête je hurlais dans la blouse de Nico que je n'allais jamais y arriver. La phase de désespérance était là, je l'ai reconnue, je savais que ça voulait dire qu'elle arrivait, mais impossible de contrôler. Toutes les minutes, une vague. Aucun répis. Je sens encore mes cheveux qui collent à mon front, les gouttes qui ruissellent dans mon cou. Et l'impuissance qui montait. Je voulais y arriver. Mais stop, c'était trop... Trop.
Elle me regarde. Me dit qu'il faut que je me lève. Mais j'ai mal, j'ai mal... Elle approche ses yeux, je ne vois qu'eux, je n'entends plus que sa voix, et le silence. Je me lève. La douleur, c'est normal, je le sais. Les divers liquide, je sais que c'est normal aussi. Mais ce sang frais, rouge (artériel me dit ma tête), lui, il me parait pas à sa place. Quand je me lève, c'est ça que je sens. Bon. Je mets l'idée de côté. J'écoute sa voix. Je ne me rends compte de rien. Je ne me souviens pas de la pose de la péri, je sens juste une vague qui se retire, comme après un tsunami. Je peux -enfin- reprendre mon souffle. Et l'envie de pousser arrive. Mathilde descend.
J'ai besoin de pousser de suite. Mon corps a décidé, ce ne sera pas vendredi 13, non non, c'est maintenant. 'Vous voulez une position particulière? Je suis ouverte aux propositions exotiques!' Elle est adorable cette sage femme. Elle a compris depuis qu'elle a lu mon projet de naissance... J'ai besoin qu'on me demande mon avis. Je ne veux pas les étriers, par pitié! 'Mes jambes sont trop lourdes, les étriers, ça me coupe la respiration... Assise, je peux?' Oui. On me redresse, il n'y a que la sage femme, Nico, moi. Elle, elle sera bientôt là. Je le sais, tout mon corps se tend pour elle, mon coeur est prêt, mes seins l'attendent. Pas une phrase. Je fais ce que je veux. Je pousse une fois. La tête. Deux fois. Les épaules. Trois fois. 'Vous voulez l'attraper?' 'Non, non...' La voilà.
23h52.
Elle me pose enfin cette petite poulette blanchâtre qui ne crie pas. Il coupe le cordon. On emmène Mathilde, qui a un peu de mal à atterrir, je l'entends, elle crie. Il s'est passé 20 secondes. Soulagement. Immédiatement on me la ramène, elle cherche le sein, et pause. Pendant ce temps, c'est la délivrance. Encore un effort. Un tout petit effort. Une contraction. Et mon corps refuse de fournir plus d'effort. Le placenta arrive. Entier. Sourire de la sage femme. Sourire de mon Nico. Sourire de moi même en regardant cette petite bébée qui tète énergiquement.
Je sens toujours que là dessous, c'est l'ébullition. Je sens que c'est chaud (artériel) je ne sais pas pourquoi l'idée revient. Dans ma tête c'est l'épuisement et en même temps plusieurs idées se bousculent. Il faut qu'il prenne Mathilde en peau à peau. Il faut que je dorme. C'est chaud, c'est pas normal. Ça ne s'arrête pas, mais personne ne semble paniquer. Il faut qu'il prenne Mathilde. Il faut...
En boucle, tout ça tourne. Ça se hiérarchise difficilement dans ma tête. Je propose à Nico de prendre Mathilde. Je sens mes lèvres s'engourdir...
La sage femme lui pose enfin, il fait pénombre, c'est calme. Mais il y a quelque chose d'anormal. Mes lèvres s'engourdissent de plus en plus et je sens que ma tête tourne. C'est toujours le questionnement dans ma tête. 'Appelle quelqu'un s'il te plait, il y a un truc qui cloche...'
D'un coup, elle a vu. En effet, c'est pas normal. Je me sens faible. Je lui demande si je vais avoir mal, je ne veux pas avoir mal. Si j'ai raison d'être paniquée. Elle me répond 'J'ai l'air de paniquer?' avec un sourire forcé. Je réponds non. Mon coeur crie que oui, je l'ai vue, la panique dans tes yeux, madame. Elle me dit de ne pas stresser, on va faire en sorte de ne pas avoir mal. Un bolus de péri plus tard, on commence à m'injecter ce qu'il faut pour stopper l'hémorragie. Le voilà le mot, le vilain mot. Et cette hémorragie refuse de s'arrêter. Une autre dame arrive. Enfile des gants gigantesques, 'Révision... vous n'aurez pas mal... Il faut vérifier... ça arrive...' Je ne sens rien en effet. Ma tension chute. Je regarde alors Mathilde et Nico. J'ai froid. Les lèvres qui picotent. Mes mains froides. Et pendant quelques minutes, les idées se rangent, consciencieusement, dans un ordre très pragmatique.
Faustin, Gabriel. Je les aime, ils le savent. Je ne les ai pas vus depuis quelques jours... Je m'en veux. J'aurai du les garder à la maison. Je les aime tellement. Ils seront de très chouettes grands frères. Nico. Il est là, avec sa fille posée contre lui. Elle nous a fait rire, avant l'affolement, elle a voulu le téter et à finalement trouvé son pouce, et elle s'est endormie. Voilà. Il va veiller sur elle.
Voilà. J'ai froid. Je me dis que je peux partir, je sens que c'est possible, ils n'arrêtent pas de dire 'ça marche pas!' et j'ai pas mal. Alors j'ai pas trop peur. C'est le bordel à la maison, il faudrait que je dise où tout se trouve, mais j'ai pas la force. Là, tout de suite, j'ai envie de dormir, mais je sens que ce sera pas juste pour dormir. J'ai un peu les boules, mais je les regarde et je veux me remplir de ça. J'aimerai que mes grands soient là, que la toute dernière image, ça soit eux quatre, mais je ne peux pas, mais c'est rien. Elle dort, il est paisible malgré tout. Elle va bien.
Je peux partir. Je peux... Mourir.
C'était un fait, je me suis dit que je pouvais mourir. J'avais donné la vie, elle était là, je pouvais tout abandonner, je lui avais donné mon colostrum, elle avait ressenti mes bras et mes baisers, elle avait entendu ma voix, et son père allait veiller sur elle, comme ses frères. C'est pour ça que je n'ai pas eu peur.
On ne pouvait de toutes façons rien y faire, ça arrive parfois. Il n'y avait dans la pièce que la sage femme et une interne je crois, qui essayaient de toutes façons d'arrêter tout ça. Elles avaient l'air de ne pas vraiment y arriver, alors je me suis dit que c'était pas très grave, mourir sans avoir mal, c'est un luxe malgré tout.
En parler, c'est encore difficile. Parce que ça peut faire peur, parce que l'hémorragie de la délivrance, on vous en parle vite fait, histoire de dire 'On lui a dit.'. On arrête pas de me dire 'Oui, c'est bon, tu es là maintenant. Elle va bien. Tu vas bien. '
C'est vrai, je vais bien. J'ai mis quelques mois à aller mieux, mais j'ai besoin de poser des mots, comme sur beaucoup de choses dans ma vie.
J'ai eu beaucoup de chance, je le sais. J'ai quitté la maternité 2 jours et demi après la naissance ("C'est que c'était pas si grave hein!") parce que pour me remettre, c'est pas là bas que ça irait mieux. J'ai dormi. Beaucoup. J'ai oublié beaucoup de choses. Les 6 premiers mois de Mathilde sont une espèce de brouillard ou je redécouvre des choses grâce aux photos. J'étais tellement fatiguée que j'ai failli louper mon allaitement, un comble!
Ce qui me désole, c'est qu'en parler peut juste faire peur. Qu'expliquer qu'on a failli mourir, ça fait peur. un jour on m'a dit 'Mais ça fait partie de la vie!' Oui et non... Oui, évidemment, un jour, il y a la fin. Mais pas à ce moment là... Ce qui m'a le plus marquée, c'est de me dire 'Je les ai assez aimés, je peux partir.' Je n'aurai jamais cru...
Alors aujourd'hui, même s'il y a pire, même s'il ne faut pas en rajouter, même si aujourd'hui, ça va... J'aimerai qu'on arrête de nier que ça ait pu à la fois me faire peur, me donner envie d'en parler et me faire comprendre à quel point on a de la chance de serrer ses gamins contre soi.
J'ai hésité à poster ce texte. Je l'ai écrit il y a quelques mois maintenant.
J'avais peur de heurter des copines enceintes, jeunes mamans, etc... Mais quid des mamans qui ont vécu ce moment troublant un jour dans leur vie? C'est quelque chose de rare, quelque chose de grave, mais que l'on peut surmonter et dont il faut parfois parler.
Alors pour toutes celles qui ont connu ce moment étrange où l'on se dit que l'on peut partir, je vous adresse un gros câlin virtuel sans pathos, sans nier vos émotions et avec tout mon coeur. Un témoignage parmi plein d'autres, mais un témoignage quand même: on a le droit d'en parler, alors parlez en!