Un jour, j'ai failli basculer.
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Tous ces mots que l'on ne disait pas quand j'étais gamine m'ont d'abord intriguée.
ENV. Motricité libre. Montessori. Maternage proximal.
Education bienveillante.
J'ai d'abord cherché les significations. J'avais 25 ans, Gabriel était tout petit, je découvrais internet à la maison après avoir été une grande adepte des cyber cafés et en cherchant quelques conseils pour mon écharpe de portage de l'époque, je suis tombée dans ce monde inconnu. Plein d'abréviations, plein de bons sentiments.
Plein de bienveillance.
J'ai été "élevée" à grand renfort de claques, de mains sur la tête, d'à genoux devant un mur, de lignes copiées par millier jusqu'à l'abrutissement, de livres copiés jusqu'au vomissement, de hurlements. Elevée, c'est un bien grand mot. On dira que j'ai poussé, un peu tant bien que mal. Très peu de contacts, pas de câlin, encore moins de 'je t'aime' ou de bisous. Beaucoup d'humiliations. Beaucoup de méchancetés, sur mon poids notamment. Entre 5 et 12 ans, chez ma mère, ça a été vraiment, vraiment dur. Oui, je sais, il y a pire. Oui, je sais, il y a des situations beaucoup plus graves. Et si elle me lit, elle doit se draper dans sa dignité et se dire que non, ce n'était pas si grave. Mais c'était grave dans ma tête et dans mon corps. Et à l'époque, ça ne dérangeait pas grand monde. Ni les voisins (on ne me fera jamais croire qu'on ne nous entendait pas), ni les profs (même quand tu caches un coquard sous du fond de teint à 10 ans) ni personne. Donc on grandit, on ferme sa bouche et puis basta. On pousse un peu de travers avec son sac de briques.
Le résultat, c'est un manque de confiance en moi terrible, une peur de décevoir que je surmonte très très mal, un corps que je déteste, beaucoup de souvenirs pas très cool et une colère immense, destructrice. Du coup, quand je suis devenue mère, j'ai pensé que je pouvais éviter tout ça.
Eviter de hurler, de frapper, de menacer, d'humilier. J'étais une utopiste, parce que j'ai connement cru que ça se ferait comme ça, d'un coup de baguette magique, que je serai mieux en tous points et c'est tout!
Ma conviction était plus grande que ma trouille de ne pas y arriver.
J'ai pourtant failli basculer. Oui. Je le dis pleine de honte. Mais je l'avoue. J'ai failli. J'y repense souvent. Ce jour là, si j'avais laissé faire, je devenais un parent toxique. Maltraitant. Mon Dieu.
Une scène banale. Un enfant pas très grand. Des carottes râpées. Un refus. L'énervement.
Durant toute cette scène, que je n'ai pas envie de détailler, des regards lourds de sous entendus de la famille. J'entendais leurs pensées, je voyais leurs regards.
"Elle ne sait pas y faire, quelle incapable! Son gamin est malpoli, c'est n'importe quoi, elle le laisse trop faire, c'est l'enfant roi, voilà le résultat, fous lui une claque, il les mangera! A force de le laisser faire, il lui marche dessus à cette conne..."
Le résultat était pourtant là, devant moi. Mon petit garçon sanglotant parce que j'avais voulu le forcer à manger des carottes râpées. Des putain de carottes râpées. (et oui, je suis vulgaire aussi, mais je m'en fiche royalement.) Et ils me regardaient tous, jugeant chacun de mes actes. J'avais le sentiment d'être nue, j'étais rouge écarlate, rouge de honte. La honte qui montait n'était pas celle qu'ils pensaient. Je n'avais pas honte que mon enfant ne veuille pas manger ces carottes râpées pour me faire suer, comme on me l'avait si gentiment soufflé, mais j'avais honte d'avoir hurlé, terrorisé mon fils. Je voyais dans ses yeux ce que ma mère devait voir dans les nôtres... J'étais très très mal en dedans. J'ai ressenti ça quelques fois dans ma vie, quand je sentais que j'avais franchi une limite, celle qui fait que tu te dégoûtes. Et là, ce jour là, à cet instant là, sous leurs regards déviant et satisfaits, je me suis dégoûtée.
Je voulais être ça? Cette mère là? Qui provoque ce regard là?
J'ai pris Faustin dans mes bras. Et je me suis dis que je devais tout faire pour ne pas basculer.
Alors oui, le chemin est jonché de cliques sur la main. De cris. Parce que je ne savais pas canaliser. Aujourd'hui encore, mon grand défaut, c'est ça: je crie. Parce que crier fait que je ne lève pas la main. On a eu l'occasion d'en parler souvent avec les enfants. De cette fameuse scène. De ce qui fait qu'ils ne se souviennent pas de leur dernière claque. Parce que c'est compliqué de trouver quelqu'un sur la toile qui dit que oui, ça lui est arrivé, et que oui, il essaie de changer... Quand tu abordes le sujet, tu as soit les pro, soit les anti fessées. Et tout le monde a son avis bien tranché.
Et puis toi, qui essaies juste de ne pas reproduire un schéma connu, ben je peux te dire que tu galères!! Je n'aime pas cette facette de moi, qui fait que je suis imprévisible. Je n'aime pas savoir que cette violence est là, tapie. Je la cache, je la masque, je la tais. Mais y a un démon caché là, que j'exorcise régulièrement pour ne pas le laisser sortir. Parce que je sais la terreur. Je sais la trouille. Je sais que ça fait mal. Les coups et les mots. Souvent quand je m'emporte on discute derrière. En répétant sans cesse que malgré les cris, ça n'entame pas mon amour pour eux. Jamais. Que l'amour que je leur porte est quoiqu'il arrive acquis. A tout jamais.
Et que mes cris, même s'ils sont pénibles, ils me permettent à moi de relâcher la pression. C'est nul, mais bon, chaque jour après l'autre.
Quand j'ai découvert tous ces mots nouveaux, c'était l'univers que je découvrais. J'étais déjà dans un état d'esprit positif, j'étais dans l'encouragement, l'envie de faire pousser mes fils dans l'état d'esprit qu'ils étaient beaux, intelligents, créatifs, doués. Les échecs étaient des pas vers la réussite. Et puis j'ai vu l'envers du décor.
Je n'étais pas assez 'anti'. Ces gentilles personnes qui ne voulaient brutaliser leur enfant sous aucun pretexte (et sur ce point, je ne dirai rien, la cause est noble) étaient bien loin de la bienveillance envers les autres adultes.
Je cherchais juste un encouragement, pas un mode d'emploi bien écrit.
Alors voilà. Voilà ce que je voudrais faire...
Encourager un parent qui trébuche. Trouver dans les échecs la possibilité de changer. DIRE que oui c'est possible. Pas demain, pas après demain... Mais que c'est possible, qu'on peut casser cette spirale négative.
Et j'ai décidé de ne plus lire ces mots nouveaux. De faire pousser mes enfants en me disant que oui, c'est possible. Que malgré tout ce que je peux faire, même si je ne suis pas d'une bienveillance à toute épreuve (mais bon, qui l'est?... ) et même si je ne lève plus la main, j'ai encore la trouille de basculer.
Dites vous bien que malgré tout, malgré le sac de briques, on peut passer au dessus. On peut parler à nos enfants comme à des êtres humains doués de sentiments sans les prendre pour des abrutis, on peut les câliner, on peut leur dire qu'on les aime. On peut les aimer et les encourager. On peut faillir. On peut le reconnaître. On peut les laisser trébucher aussi.
On peut éduquer sans asservir et sans humilier.
Alors vous m'excuserez de ne pas faire d'ENV, d'éducation bienveillante, de Montessori, de maternage proximal, de motricité libre.
Vous me pardonnerez d'avoir eu des sautes d'humeur.
Je ne suis pas peut être pas bienveillante dans l'extrême... Mais je suis loin d'être malveillante.
J'espère que vous m'excuserez de ne pas suivre vos courants accusateurs et plein de pointage de doigts (pas tout le monde dans le même sac, rassurez vous ;) ). De ne pas (plus?) juger.
Mes enfants m'ont déjà pardonné de ne pas être une mère parfaite.
Parce qu'ils savent qu'un jour, je me suis retenue à la balustrade de mon esprit, de toutes mes forces, pour ne pas tomber. Pour ne pas basculer de l'autre côté.
Je ne suis pas parfaite, mais j'ai réussi à casser la spirale de la violence.
Je m'en fous de ce qu'on peut penser de moi, je m'arrange avec ma conscience et surtout avec mes enfants, qui me connaissent.
C'est possible et ça fait du bien de l'écrire!